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8 questions à Amber O’Reilly

Originaire de Yellowknife (Territoires du Nord-Ouest, Canada), Amber O’Reilly est une poète, slameuse et autrice de théâtre reconnue pour sa sensibilité unique à l’espace, aux rencontres humaines et à la beauté des mots. Sa pratique artistique est profondément influencée par son environnement et les personnes qu’elle croise, ainsi que par sa passion pour les langues.

Cette artiste met en lumière l’importance de l’écriture dans sa vie, ainsi que la signification du territoire et de la francophonie canadienne.

Sur la création 

1. Quels sont vos débuts littéraires ?

J’ai commencé à faire du « spoken word » dans les joutes de la Winnipeg Poetry Slam pendant mes études à l’Université de Saint-Boniface. Ma pratique multilingue a donc fleuri à partir du slam, quoique j’écris et je lis dans une optique de création littéraire depuis l’enfance. J’ai commencé à gribouiller de la poésie dans mes cahiers au secondaire et je ne me suis pas arrêtée. Depuis, je continue à me déraciner, à la fois physiquement et spirituellement. J’ai toujours été à l'écoute des récits des autres et raconté mes propres histoires. Je voyage à travers l’espace et les autres en excavant mes œuvres de mes expériences vécues.

2. Vous êtes une artiste franco-ténoise multilingue. Vos poèmes sont parsemés de mots en anglais, en espagnol. Quel est votre rapport aux langues?

Dès un jeune âge, j’ai baigné dans une mixité linguistique entre le français, l’anglais et éventuellement l’espagnol et le portugais brésilien. Chaque langue est une paire de lunettes qui me permet d’entrevoir le monde. Mes langues sont des prismes à travers lesquels je contemple la création et la vie. J’ai choisi d’écrire d’abord en français pour des raisons foncièrement politiques et identitaires. Le marché de l’édition francophone me paraissait plus accessible et plus empreint de potentiel pour maximiser la portée de mes mots. Je ressens l’appartenance culturelle la plus forte envers la francophonie canadienne. Le français est une porte sur d’autres langues, un pont entre les cultures.

3. Vous avez confié que la poésie est le moyen le plus fiable de traduire en mots les instants qui nous marquent. Quelles sont les expériences qui ont forgé votre écriture et votre identité?

Je conçois mon être comme une collection, un coffre à trésors désordonné. La poésie m’aide à y trouver un sens. Le fait de grandir dans un milieu multilingue dans le Nord canadien, étudier deux ans dans un secondaire international et voyager par la suite en Amérique latine a certainement confirmé mon destin de citoyenne du monde. En 2023, j’ai habité successivement Montréal, Winnipeg et Yellowknife et j’ai subi une espèce de coup de fouet spirituel dont je ressens toujours les échos. J’ai à la fois l’impression de me morceler et de me reconstituer sans cesse, car dans chaque lieu où je mets les pieds, dans chaque rencontre, je laisse une part de moi et j’en acquiers une nouvelle. Ce n’est que par l’écriture que je réussis à faire un bilan approximatif de cet échange d’atomes.

Sur vos œuvres

4. Boussole franche est votre premier recueil de poésie publié aux éditions du Blé dans la collection Nouvelle Rouge dirigée par J.R Léveillé.  Quelle est la signification de ce titre?

La métaphore de la boussole franche désigne un compas intérieur, un oracle du cœur qui révèle non seulement vers où je devrais aller, mais d’où je viens et ce qui s’est passé là-bas. Je voulais dévoiler en vers et en toute franchise ce que j’ai vécu dans les lieux qui m’ont marquée, dresser la cartographie de mon territoire intérieur. La boussole indique les points cardinaux qui sous-tendent la structure du recueil et ses diverses directions stylistiques. Elle devient en quelque sorte un personnage qui se raconte et se met à nu.

5. Votre recueil se compose de quatre parties, Nord-Ouest, Côte-Ouest, Ouest Prairies, Sud.  L’espace est-il révélateur des expériences existentielles?

Pour moi, les souvenirs sont intimement liés à des lieux, car ceux-ci abritent les univers sensoriels qui rendent aux souvenirs la vivacité qui les fait perdurer dans le temps. En ce sens, j’aborde dans Boussole franche plusieurs expériences depuis un angle géographique. Je peux me tenir debout sur un point fixe et me tourner vers le Nord-Ouest, où je suis née et où j’ai grandi; vers la Côte-Ouest, où j’ai vécu les années les plus formatrices et intenses de mon adolescence; vers les Prairies, où j’ai traversé ma vingtaine; ou vers le Sud, où j’ai voyagé et fait des rencontres qui ont nourri mon imaginaire. En faisant face à chacune de ces vastes régions, je me mets dans un état d’esprit différent selon ce dont se remémorent mes sens.

6. Annie et Tom du lundi au vendredi est une pièce de théâtre que vous avez co-produite au Théâtre Cercle Molière à Winnipeg (Manitoba, Canada). C’est l’histoire d’un jeune couple qui vit toutes sortes de déceptions et franchit des obstacles. Votre pièce fait-elle écho au théâtre de l’intime pratiqué par de nombreuses et nombreux dramaturges du Québec ou de l’Ontario?

J’ai commencé à écrire du théâtre en me penchant d’abord sur ce que je connais. Je me suis intéressée au couple, au domestique pour continuer à les excaver pour illuminer la pression qu'exercent le capitalisme et la cyberdépendance sur eux et représenter ces éléments des expériences humaines sur scène. Le théâtre de l’intime évoque pour moi une exploration d’enjeux identitaires et interpersonnels qui fait briller les personnages et la langue, en l'occurrence, les langues théâtrales franco-canadiennes. J’ai tenté de faire rêver et de balbutier Annie, Tom et leurs compagnons, puis de faire résonner leurs questionnements chez les publics et les lecteurs.

Sur la francophonie

7. L’autrice franco-canadienne Gabrielle Roy avoue dans son autobiographie posthume La détresse et l’enchantement qu’« être minoritaire c’est être supérieur ou disparaître». Qu’en pensez-vous?

La notion de supériorité et d’infériorité est au cœur des constructions sociales que sont les hiérarchies linguistiques et qui nourrissent l’insécurité linguistique. De jouer dans l’arène de la compétition, de se plier à un impératif de dépasser un adversaire « majoritaire », c’est d’avouer de prime abord son infériorité. Or l’adversaire n’est pas l’hégémonie culturelle de l’anglophonie. Les adversaires, ce sont justement les phénomènes qui risquent de déchirer notre francophonie par en dedans : l’insécurité linguistique, l’assimilation et l’isolationnisme culturel. C’est en agissant face à ces défis que nous assurerons notre perpétuité évolutive.

8. Vous avez écrit Soyons amis dans notre langue, la lettre ouverte qui souligne la 2e édition de la Journée québécoise de la francophonie canadienne qui a eu lieu le 22 mars 2024. Quelles sont les forces des communautés francophones au Canada ?

Nous célébrons nos révolutions et nos évolutions. Nous avons une mémoire collective qui ne cesse d’être réinterprétée et retransmise grâce à notre appropriation des outils et des réseaux numériques. Nos membres lanceurs d’alerte les plus courageux déplorent nos failles et nous rallient pour faire différemment, faire mieux. Nos produits culturels sont la réflexion de notre ingéniosité vivace. Notre diversité et nos visions plurielles de l’avenir font notre force.

Biographie

Amber O’Reilly est une poète, slameuse, autrice de théâtre, scénariste, recherchiste et animatrice d'événements multilingue originaire de Yellowknife. Sa poésie et ses textes critiques ont paru dans plusieurs revues et périodiques et elle a livré des prestations au micro à travers le Canada. Son premier recueil de poésie Boussole franche est publié aux Éditions du Blé et est récipiendaire du Prix littéraire Rue-Deschambault 2021.

En 2021, elle a produit son premier texte intégral Annie et Tom du lundi au vendredi sous forme d'œuvre hybride ciné-théâtre. La pièce a été sélectionnée pour le 12e  Congrès international des autrices dramatiques à Montréal (17-19 juin 2022). Les Éditions du Blé ont publié le texte en juin 2023.

Amber a complété une Résidence indépendante en Écriture dramatique à l’École nationale de théâtre du Canada de septembre 2022 à juin 2023. Passionnée de langues, elle maîtrise le français, l’espagnol, le portugais brésilien et l’anglais.

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