7 questions à Sébastien Bérubé
Photo : Fullhouse Media
Sébastien Bérubé, poète et artiste du Nouveau-Brunswick, explore les enjeux sociaux et politiques de sa région avec une plume aiguisée. Il partage dans cette entrevue sa vision de l’Acadie et révèle la genèse de Rivières-aux-Cartouches : histoires à se coucher de bonne heure, le recueil de nouvelles qui a conquis le cœur du grand public.
Sur l’écriture
1. Vous avez déjà affirmé que vous n’aimiez ni lire ni écrire en français lorsque vous étiez jeune. Aujourd’hui, vous représentez la nouvelle génération de poètes en Acadie. Qu’est-ce qui vous a mené à l’écriture?
Les retenues à l’école Ha! ha! Sérieusement! Une enseignante qui voyait bien que je n’allais à aucune de mes retenues m’a offert de faire de courts résumés de livre afin de ne pas avoir de retenues et garder les points que je perdais en classe à cause que je dérangeais les autres. C’est ainsi que j’ai découvert que finalement ce n’est pas que je n’aimais pas lire, mais plutôt qu’on ne m’avait pas encore offert quelque chose qui m’intéressait comme lecture.
2. Qu’est-ce qui nourrit votre imaginaire?
Ça fait cliché un peu, mais pas mal tout et rien. Il y a une force brute et poétique dans le quotidien qui me nourrit beaucoup. Mais ce qui me fascine le plus c’est d’arriver à déceler la beauté dans ce qui ne devrait pas l’être au premier regard. C’est l’une des principales choses qui m’anime dans l’écriture de la ruralité : le fait que la beauté réside souvent beaucoup plus dans la compréhension et le regard posé sur les choses que dans les choses elles-mêmes.
Sur vos œuvres
3. Vous demeurez à Edmundston dans la région du Madawaska au Nouveau-Brunswick. Le Madawaska apparait de manière récurrente dans vos trois recueils de poésie. Parlez-nous de votre Madawaska, de votre territoire à vous.
Le Madawaska est central dans ce que je fais, ou plutôt «comment se vit le Madawaska». Ma région me fascine parce que je trouve qu’elle regorge de forces naturelles et humaines plus grandes que nature. Les troispremiers recueils de poésie étaient une sorte de triptyque. Tandis que Sous la boucane du moulin plaçait le Madawaska en face de l’Acadie commerciale pour y trouver sa place réelle et revendiquer une «Acadie autre», Là où les chemins de terre finissent confrontait le Madawaska à la province du Nouveau-Brunswick en s’ouvrant vers l’idée d’une francophonie canadienne butchée et Maudire les étoiles jouait avec l’influence américaine des trois frontières du Madawaska (États-Unis, Nouveau-Brunswick, Québec).Pour moi le Madawaska est extrêmement complexe et c’est ce que j’adore. On aime le détester d’amour!
4. Votre recueil de nouvelles, Rivières-aux-Cartouches : histoires à se coucher de bonne heure (éditions Perce-Neige), a remporté le Combat national des livres de Radio-Canada de 2023 et grâce à lui vous êtes le lauréat du Prix Champlain 2024. Pourriez-vous nous expliquer son titre?
Le titre vient vraiment de l’exploration de l’image de la cartouche, c’est-à-dire une balle de fusil vide ou une douille. L’un des personnages s’amuse à se servir de balles vides pour faire des œuvres au centre de la rivière. Je ne me souviens pas si c’est le personnage qui a inspiré le titre ou le contraire, mais j’aimais bien la sonorité et le symbole que ça venait imposer sur ce territoire fictif.
5. Vous évoquez les personnages des Premières Nations. Quelle est l'importance des relations entre les Mi'kmaq, les Wolastoqiyik et les Acadiens?
Je n’ai pas la prétention d’être historien, même si c’était l’une de mes concentrations quand j’ai fait mon bac. Disons que les histoires m’intéressent pas mal plus que l’Histoire… Pour ce qui est des Acadiens et des Autochtones, des deux côtés on est conscient que nous avons été quand même des alliés des premiers jours, mais quelque chose semble s’être perdu avec le temps. On recommence à s’asseoir ensemble à la même table et je trouve ça très encourageant.
Pour Rivières-aux-Cartouches, comme je m’attardais au Madawaska et au Restigouche – qui sont deux régions où se trouvent des communautés Wolastoqey et Mi’kmaw, ça aurait été hypocrite de ne pas avoir de personnages autochtones. Dans ma vie de tous les jours, je vis, travaille et collabore avec eux et je vis et écris sur leur territoire traditionnel, c’est un peu normal qu’ils participent aussi à mon imaginaire.
6. Les francophones de l’Acadie, de l’Ontario, les Québécoises et les Québécois se reconnaissent dans Rivières-aux-Cartouches. Selon vous, quel thème réunit la francophonie canadienne?
J’ai l’impression que c’est peut-être l’espace rural francophone qui vient construire une sorte de lieu qui n’en est pas un, mais que tout le monde reconnait. Un non-lieu invitant en quelque sorte. Je ne crois pas dans la recherche d’un universel afin de toucher un plus grand public. Pour moi, plus tu es près de ce que tu développes, plus tu construis quelque chose de spécifique et plus les gens vont s’y reconnaitre. C’est ce que j’ai fait avec Rivières-aux-Cartouches. En jouant avec l’imaginaire rural canadien-français, j’ai pu construire un imaginaire où les gens reconnaissaient leur région aussi. On est différent, mais on se ressemble aussi.
Peu importe la région francophone où tu vas, s’il y a une école…check un peu plus loin et tu vas voir une église, une poste-office et une station de pompier…ça, c’est des choses qui mentent pas. Dans la vie comme dans la littérature, mais qui pourrait se contenter de la vérité. Pas moi.
La francophonie
7. On sait que le chiac est une variété du français parlé en Acadie, qui mélange des éléments du français et de l’anglais, au sud-est du Nouveau-Brunswick. Pourriez-vous nous parler de la langue du Nord-Ouest de la province ?
Au Madawaska, la langue qui est parlé est le brayon. C’est une langue qui flirt avec ce que l’on entend au Bas-Saint-Laurent, mais y’a un peu plus de tchoeur pis de guts là-dedans Ha! ha! Quand on utilise des anglicismes, aussi, on les accorde comme s’il s’agissait de mot français.
Au Restigouche-Ouest, c’est un peu plus près du parler québécois. Il y a des affinités avec le parler du Saguenay ou de la Côte-Nord. Comme je suis natif de Saint-Quentin (au Restigouche), mais que j’ai grandi à Edmundston (au Madawaska), je me promène un peu entre les deux…et je ne suis pas encore certain si je dois dire tréleux ou tréleur quand je parle d’un trailer Ha! ha!
Biographie de Sébastien Bérubé
Sébastien Bérubé est un artiste multidisciplinaire originaire du Nord-Ouest du Nouveau-Brunswick. Ses trois premiers recueils et ses deux albums posent un regard franc, aiguisé et sensible sur sa région. Dénonçant sans détour les injustices sociales et politiques actuelles, il est l’un des représentants majeurs de la nouvelle génération de poètes en Acadie. Après avoir travaillé en milieu scolaire comme agent de développement culturel et communautaire pour la Première Nation Malécite du Madawaska et avoir été responsable du programme Voix émergentes des Éditions Perce-Neige, il se consacre présentement à l’essor des littératures autochtones, francophones et acadiennes dans les Maritimes comme artiste, mentor et travailleur culturel.
Avec sa dernière publication, le roman/recueil de nouvelles Rivières-aux-Cartouches : histoires à se coucher de bonne heure, il fait une entrée fracassante dans l’univers de la prose et confirme, encore une fois, la verve émouvante et corrosive qu’on lui connaît.
Prix et distinctions :
Sous la boucane du moulin (2015)
- Prix de l’excellence en poésie de L’ÉFA
- Finaliste Prix Antonine-Maillet-Acadie Vie 2016
Là où les chemins de terre finissent (2017)
- Prix Antonine-Maillet Acadie Vie 2018
Rivières-aux-Cartouches : histoires à se coucher de bonne heure (2023)
- Prix Champlain 2024
- Artiste de l’année en littérature aux Éloizes 2024
- Gagnant du Combat national des livres de Radio-Canada 2023
- Prix du Recteur de l’Université de Moncton 2024
- Finaliste au Prix Adrienne-Choquette 2024