5 questions à Marie-Josée Martin

Photo Crédit : Mathieu Girard
Lauréate de plusieurs prix littéraires, Marie-Josée Martin vit en Ontario et rêve de refaire le monde avec ses mots. Passionnée par la langue française et ses subtilités, elle manie aussi bien la grammaire que les astuces de l’écriture inclusive.
Dans cette entrevue, l’écrivaine revient sur les thèmes qui habitent son imaginaire et parle d’Après Massāla, sa trilogie de science-fiction publiée aux Éditions Prise de parole (Ontario).
- Votre deuxième roman, Un jour, ils entendront mes silences (éditions David, 2012), a obtenu plusieurs prix littéraires. Vous y donnez voix à Corinne, une enfant lourdement handicapée qui observe le monde avec lucidité, humour et une forme d’enchantement. Vos livres peuvent-ils aider à mieux comprendre la réalité vécue par les personnes en situation de handicap dans notre société ?
Par sa capacité d’améliorer l’empathie, la fiction peut transformer la perception qu’on a de l’Autre. J’avais une intention claire en écrivant Un jour, ils entendront mes silences : susciter une remise en question des idées reçues quant à la normalité et à ce qui fait la valeur d’une vie.
J’ai aussi inclus des personnages en situation de handicap dans ma trilogie Après Massāla, parce que les handicaps, pour moi, font partie de la vie. Sauf que cette fois, ils restent à l’arrière-plan. Qu’il s’agisse de Tirésias, de Cléonaque ou de Manouwane, chacun de ces personnages est tellement plus! En fait, je dirais que leur handicap est leur attribut le moins intéressant.
- Dans L’Ordre et la Doctrine et Ventrées, vous déployez un univers d’anticipation dense. Qu’est-ce qui vous a motivée à écrire deux romans dont l’histoire se passe dans le futur?
J’aime beaucoup la science-fiction, surtout quand elle a une dimension sociale ou écologiste, mais je n’avais pas nécessairement l’intention d’en écrire — d’autant qu’un changement de genre littéraire s’accompagne de risques.
J’ai fait la connaissance du personnage de Manouwane, l’héroïne de ma trilogie Après Massāla, par un après-midi caniculaire. Je m’étais allongée pour une sieste et j’ai commencé à rêvasser : soudain, Manouwane était là et son histoire s’est mise à défiler derrière mes paupières closes. Il va sans dire que je ne l’ai pas laissée filer! Le reste — les compagnes et compagnons de route de Manouwane, l’univers fictif massalais avec sa géographie, son système politique, etc. — viendrait plus tard, à l’issue d’un long processus de recherche et de réflexion.
Je dois dire qu’écrire une trilogie n’était en outre pas un choix délibéré. Au départ, je projetais UN roman (pas trois!). Sauf que j’ai senti que l’histoire avait besoin pour se déployer de bien plus que deux ou trois cents pages.
- Vos romans de science-fiction abordent des enjeux sociaux très actuels. Quels thèmes vous tiennent particulièrement à cœur dans cette trilogie?
M’intéresse l’idée d’explorer un mode d’organisation sociale ne reposant pas sur la famille nucléaire et ne plaçant pas la vie humaine au-dessus des autres formes de vie sur la planète. Ventrées aborde plus particulièrement la cohabitation des peuples et a été influencé par les discussions qui avaient cours au Canada sur l’anglonormativité.
- Écrire en français en Ontario, c’est souvent jongler entre affirmations identitaires et dynamiques culturelles complexes. Comment ce contexte influence-t-il votre rapport à la langue et au récit?
Dans Après Massāla, Manouwane parle massalais, une langue qui dérive du français nord-américain — je sous-entend (n’en déplaise à Lord Durham) que ce sont les anglophones qui ont finalement été assimilés. C’est une petite revanche, un pied de nez aux forces qui cherchent sans cesse à nous faire taire.
- Avez-vous un coup de cœur à partager ?
Au lieu de laisser les algorithmes nous mener par le bout du nez, on peut échanger des recommandations de livres, de chansons et de séries en français avec nos copines, amis et collègues. Dans mes lectures franco-canadiennes récentes, un essai a retenu mon attention et je vous le recommande : Parler comme du monde, d’Annette Boudreau (Nouveau-Brunswick). L’autrice, une universitaire originaire de Moncton, y explore la question de l’insécurité linguistique à partir de son propre vécu.
Biographie
Marie-Josée Martin a grandi au Québec à une époque où les rampes d’accès passaient pour des objets insolites. Son deuxième roman, Un jour, ils entendront mes silences (David, 2012), a été couronné de quatre prix littéraires, dont le Prix du livre d’Ottawa. Les deux premiers tomes de sa trilogie d’anticipation Après Massāla, L’Ordre et la Doctrine et Ventrées, ont paru aux Éditions Prise de parole en 2021 et 2025. En plus de sa carrière artistique, Marie-Josée exerce le métier de traductrice-réviseuse et est conseillère en écriture inclusive.